En février 2021, Julien Bargeton, sénateur de Paris, a déposé une proposition de loi tendant à faciliter l’accès à des bureaux de proximité et le maintien de la vie sociale des travailleurs à distance. Il explique pourquoi le développement du télétravail exige la mise à disposition de solutions en dehors du domicile et formule des pistes pour lever les freins au changement.

Quels sont, à vos yeux, les enjeux liés à la généralisation du travail à distance ?

Julien Bargeton : Depuis le début de la crise sanitaire, la pratique du télétravail s’est imposée pour des millions d’entreprises et de salariés. Cette évolution répond aujourd’hui à des aspirations individuelles indéniables. Débarrassés de l’obligation systématique de se rendre au bureau, les salariés habitant les grandes villes échappent au stress des embouteillages ou des trajets prolongés dans les transports en commun. Au passage, ils libèrent un temps qu’ils peuvent affecter selon leurs souhaits. L’intérêt général y gagne également. Moins de mouvements pendulaires, c’est moins de pollution, d’émissions de gaz à effet de serre, de congestion des réseaux de mobilité, d’inégalités entre ceux qui sont contraints de se déplacer et les autres… La panacée serait-elle donc de faire travailler chacun chez soi ? Ce serait oublier que nous n’avons pas tous un logement permettant d’aménager un coin tranquille pour exercer son métier. Il y a aussi les frais à engager pour disposer d’un poste de travail en ordre de marche, sans compter le problème de la solitude et de l’isolement. Un autre écueil est la perte des informations qui circulent, de manière informelle et au gré du hasard, dans les lieux de travail partagé. On se rend à la machine à café, on croise un collègue, il évoque l’implémentation d’un nouveau logiciel dans son service, on se dit que cet outil pourrait nous être utile : c’est le genre de situation qui donne un supplément d’agilité aux organisations. Promouvoir le travail à distance est une nécessité à condition de veiller, dans le même temps, à garantir les conditions d’un fonctionnement collectif et des bienfaits qui l’accompagnent.

Quelle solution préconisez-vous pour résoudre cette équation ?

J. B. : Il me semble souhaitable de proposer aux salariés des solutions proches de leur domicile mais en dehors de ce dernier. Je les appelle bureaux de proximité pour rassembler des dispositifs aussi variés que les espaces de co-working, les locaux déconcentrés où se retrouvent des salariés d’une même entreprise, les cafés, etc. Comme le travail à domicile, ces tiers lieux ouvrent la voie à des gains de productivité liés à une arrivée potentiellement plus matinale sur le lieu de travail – puisque le temps de transport est diminué. Mais ils disposent d’atouts distinctifs. Pour les salariés, la possibilité de croiser d’autres personnes appartenant ou non à la même entreprise contribue à recréer une forme de collectif de travail. Qui se traduira, selon les cas, par des rencontres enrichissantes, des perspectives de formation ou de rebond professionnel, etc. Si l’on se place dans la logique de l’aménagement des territoires, ce modèle d’organisation peut déboucher sur un rééquilibrage des aires d’influence et d’attractivité entre les métropoles, les villes moyennes, les zones périurbaines et rurales. Cela suppose d’implanter des unités de bureaux dans les villes qui, actuellement, en sont dépourvues.

Comment penser qu’une entreprise accepte de prendre en charge la location de bureaux de proximité en plus des coûts liés à l’hébergement des salariés dans ses propres locaux ?

J. B. : Cet éventuel « double coût » acquitté par l’employeur peut être un obstacle au changement. C’est pourquoi j’ai avancé, dans une proposition de loi, différentes mesures. La première est d’ordre fiscal. Elle prévoit, pour les entreprises, une réduction d’impôt assise sur les dépenses supplémentaires associées à la location ou à l’acquisition de locaux destinés à accueillir des bureaux de proximité. L’incitation des salariés repose, pour une part, sur l’instauration de « titres-bureau » conçus sur le modèle des titres-restaurant. Ces « tickets » serviront à régler directement l’accès et l’occupation des tiers lieux auprès des gestionnaires. La proposition que j’ai déposée inclut aussi le versement d’une allocation forfaitaire visant à couvrir une partie des frais professionnels du travailleur à distance. Parmi les mesures que je veux soumettre au débat figure encore une forme de contribution de l’employeur à l’achat par le salarié de biens d’équipement susceptibles de faire l’objet d’un usage professionnel. L’ensemble de ces mesures répondent à la même ambition. Il s’agit de donner un coup de pouce et de limiter les charges pour les entreprises désireuses d’organiser la transition d’un modèle en présentiel vers un modèle comprenant tout ou partie de travail à distance accompli en dehors du domicile.

La mise en place de l’Open travail à la Mutuelle Générale montre que les lignes bougent. Avez-vous le sentiment que les esprits sont mûrs pour cette réorganisation collective ?

J. B. : Le constat est contrasté. Certaines entreprises ont pris le sujet à bras-le-corps, à l’image de Boursorama. Près de la moitié des employés de cette banque en ligne ont la possibilité de travailler à 90 % en télétravail, avec pour effet collatéral d’ouvrir le recrutement à des profils habitant ailleurs qu’en Île-de-France. Dans d’autres organisations où la culture de la distance était déjà bien implantée avant la crise, c’est un schéma hybride qui prévaut. Chez Nexity ou Airbnb, par exemple, la semaine se répartit assez équitablement entre télétravail et présentiel. Mais on relève aussi des freins. Avec le passage au travail à distance, il arrive que l’encadrement intermédiaire se sente privé de son pouvoir de contrôle. Les nouvelles recrues pointent parfois la difficulté de s’intégrer dans le cadre de travail. Quant aux ambitions carriéristes, elles se heurtent à un accès plus restreint aux bureaux des supérieurs hiérarchiques… Il me semble qu’il y a un vaste chantier à mener du côté des DRH, qui ont à inventer les moyens de former, recruter, évaluer et manager efficacement dans le contexte des nouvelles formes de travail. L’enjeu est d’éviter une dissymétrie trop importante entre les organisations où les réticences des représentants du personnel conduisent à une situation de blocage, et celles qui s’appuient sur l’adhésion de leurs salariés pour avancer à marche forcée. À une autre échelle, je crois qu’il est urgent d’anticiper les conséquences du télétravail en matière d’aménagement du territoire. Cela pourrait être l’objet d’un effort de planification stratégique partagé par l’État, les collectivités et les partenaires sociaux.

Signé : Matthieu Perotin

Julien BARGETON

Julien Bargeton

Né en 1973, Julien Bargeton poursuit ses études à Sciences Po Paris, l’ESSEC puis l’École Nationale d’Administration. Après avoir travaillé à la Mairie de Paris auprès de Bertrand Delanoë, il devient adjoint à la Maire de Paris, Anne Hidalgo, en charge des finances, des sociétés d’économie mixtes, des marchés publics et des concessions. Investi par La République En Marche aux élections sénatoriales de 2017, il est élu sénateur de Paris en septembre 2017. Julien Bargeton siège aujourd’hui à la commission des finances. Il est co-rapporteur spécial sur le budget de la Culture. En 2021, il est élu au Conseil régional d’Île-de-France.