La nouvelle génération arrive sur le marché du travail avec des rêves différents de ceux de ses parents. Quel est l’état d’esprit des jeunes et que font les entreprises pour leur (re)donner goût au salariat ?
Une autre relation au travail
En 1990, 60 % des Français considéraient que le travail occupait une place très importante dans leur vie. 32 ans après, ils ne sont plus que 24 % (1). Finie l’époque où l’on vivait pour son job, les priorités ont changé. La quête d’un épanouissement dans et en dehors du travail a remplacé les plans de carrière bien ficelés.
Les jeunes incarnent cette nouvelle vision du travail, eux qui doivent bâtir leur vie professionnelle dans un contexte de crise économique, écologique et sociale. Passionnés et déterminés, ils ont grandi dans un monde individualiste et ultraconnecté. Même si, selon Shéhérazade, consultante en développement professionnel à l’Apec, « ils manifestent une envie de travailler », ils ne sont pas prêts à tout donner à l’entreprise comme leurs aînés.
La pandémie a changé le regard sur le travail de l’ensemble des générations, levant le voile sur les bullshit jobs et le temps perdu dans les transports et en réunion. La question du sens est désormais centrale, en particulier chez les jeunes.
Les étudiants fraîchement diplômés sont frileux à l’idée d’intégrer le marché du travail. Certains choisissent carrément de « déserter » des emplois « destructeurs »* (2) et ceux parmi qui se lancent, beaucoup sont déçus. « Les jeunes que l’on accompagne expérimentent assez souvent avoir été échaudés par un fort écart entre les valeurs affichées par l’entreprise et ses valeurs réelles et un management dans lesquelles ils ne se méconnaissent pas », témoigne Shéhérazade.
Que veux les jeunes ?
D’après une enquête menée par OpinionWay pour le Parisien Économie et Indeed en 2022, 25 % des 18-30 ans regardent d’abord le salaire lorsqu’ils cherchent un emploi. « Ils souhaitent un niveau de rémunération en phase avec leurs aspirations, qui leur permet de financer leurs loisirs, leurs voyages », précise Shéhérazade. Mais pour les autres, ce n’est pas le critère principal. 15 % privilégient l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle et l’intérêt et le sens des tâches, 12 % l’environnement de travail et 10 % la souplesse (3).
Le job idéal leur laisse du temps libre et leur permet de travailler où et quand ils veulent (y compris le week-end, tôt le matin ou tard le soir) et de se sentir utiles. Faute de trouver cela dans le salariat, les jeunes se tournent vers l’entrepreneuriat. Plus de la moitié envisage de devenir freelance un jour (4).
« Leur point de vue sur le management est ambivalent », remarque Shéhérazade. « Ils veulent travailler en autonomie et en confiance, qu’on leur délègue une mission à responsabilités mais aussi être formés par l’entreprise et avoir des feedbacks réguliers. »
Et le CDI ? « Pour la majorité d’entre eux, la durée et la nature du contrat au second plan. Ils cherchent surtout un emploi dans lequel ils vont trouver l’appétence intellectuelle, technique et technologique », répond l’experte.
Comment les entreprises s’adaptent-elles ?
Premier levier pour attirer les jeunes talents : innover dans les processus de recrutement. Instagram, TikTok et Twitch sont le nouveau terrain de chasse des services RH. Le recrutement sans CV, plébiscité par la génération Z car il valorise les soft skills et favorise la diversité, se démocratise. À l’instar du groupe Accor qui organise des sessions de job dating où les candidats sont mis en situation dans une chambre d’hôtel ou le restaurant de l’établissement (5). Pour se différencier, certains, notamment Carrefour et Auchan, vont encore plus loin en faisant passer des entretiens d’embauche dans le métavers.
Autre stratégie adoptée par les employeurs : communiquer sur leurs engagements environnementaux et sociaux. Decathlon, par exemple, fait de la RSE un élément-clé de sa marque employeur. « Le sport rend le monde meilleur », « Faire bouger le monde est un sport collectif », le groupe a multiplié les campagnes RH aux messages engagés ces dernières années. Résultat en 2022, il arrive premier du top 15 des employeurs perçus comme les plus impliqués sur la RSE lors d’une étude réalisée par le cabinet Universum auprès de 1 229 étudiants et jeunes diplômés d’un bac + 5 (6).
Les entreprises proactives sont également de plus en plus nombreuses à tester le management horizontal et des modes de travail hybrides tels que l’ Open Travail à La Mutuelle Générale afin d’offrir aux jeunes un cadre de travail qui répond à leur besoin de liberté.
Si les employeurs doivent se réinventer pour séduire ces profils exigeants, l’enjeu est aussi de les retenir. « Le marché du travail porteur étant, les jeunes se formalisent beaucoup moins que d’autres générations pour quitter leur entreprise quand ils ne trouvent pas d’adéquation entre leur rôle et la mission qui leur est proposée ou encore que la visibilité sur les perspectives d ‘évolution en interne est floue. Aux employeurs de se remettre en question et de faire évaluer leurs processus de recrutement et d’intégration pour les fidéliser », explique Shéhérazade. La consultante recommande par exemple aux entreprises d’ « accompagner avec intelligence un salarié qui souhaite partir afin qu’il soit plus facile pour ce dernier de revenir quelques années plus tard ». » Voiture, affirme-t-elle, « Ça arrive qu’un jeune ait envie de reprendre sa place en interne après être allé voir ailleurs. »
En 2025, 27 % des actifs dans les pays membres de l’OCDE seront issus de la génération Z (7). Impossible pour les entreprises d’ignorer leurs attentes, aussi challengeantes soient-elles.
* Fin avril 2022, à l’occasion de la cérémonie de remise de diplômes d’AgroParisTech, un groupe d’étudiants a appelé ses camarades à ne pas suivre le chemin tout tracé qui attend les jeunes ingénieurs à la sortie de l’école, à savoir occuper des emplois contribuant, selon eux, « aux ravages sociaux et écologiques en cours. »
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