Alors que les politiques publiques de recul de l’âge de départ à la retraite se heurtent à la réalité des pratiques des entreprises à l’encontre des plus âgés, l’économiste Hippolyte d’Albis appelle à réhabiliter la place des seniors au sein du marché du travail. Explications.
Comment se porte l’emploi des seniors en France ?
Hippolyte d’Albis : La France est l’un des pays européens où le taux d’emploi des seniors est le plus faible, à 56,1% fin 2021. Ce mauvais résultat pose problème dans un contexte de vieillissement démographique qui accentue la pression sur notre système de protection sociale et sur la création de richesses. Néanmoins, la forte amélioration du taux d’emploi des seniors depuis le début des années 2000, corrélée à l’entrée des premiers baby-boomers dans la catégorie des « 55 ans et plus », est encourageante. Souvent plus qualifiés et en meilleure santé que leurs aînés, ces seniors « nouvelle génération » font preuve d’une plus grande capacité d’adaptation et d’un meilleur maintien dans l’emploi.
L’idée du déclin professionnel des seniors reste pourtant un frein important à l’emploi ?
H.A : Les seniors souffrent souvent de préjugés et d’idées reçues lorsqu’il est question d’emploi. Peu adaptables, démotivés, pas assez digitaux, trop coûteux… les plus âgés subissent une vive défiance des employeurs, réticents à les maintenir en activité comme à les recruter. Dans un contexte de pénurie de talents, il est grand temps de mener une révolution culturelle sur ce sujet, les seniors constituant un immense vivier de candidats de qualité. La période est propice. Après la crise sanitaire, lors de laquelle les seniors ont été nombreux à travailler à distance, les clichés sur leurs compétences digitales ou leur capacité à s’adapter ne sont plus audibles. Il ne s’agit pas pour autant de nier les effets du vieillissement sur les seniors, qui ont des besoins spécifiques, notamment sur les sujets de la pénibilité ou de la flexibilité. Mais arrêtons d’opposer systématiquement les générations, et considérons-les plutôt comme complémentaires et non substituables. C’est aux entreprises de faire passer le message : c’est une richesse d’avoir une équipe mixte et multigénérationnelle, capable de capitaliser sur l’expérience des anciens !
Quelles sont les conditions les plus favorables au travail des seniors ?
H.A : Un gros travail est à mener par les entreprises, notamment les RH, pour mettre en œuvre une politique globale de maintien dans l’emploi des seniors. D’abord par une meilleure anticipation des trajectoires professionnelles, comme cela se fait depuis longtemps dans les pays scandinaves. Cela nécessite de renforcer la formation continue des salariés pour adapter leurs compétences tout au long de leur vie professionnelle et soutenir les transitions vers des « secondes carrières ». De surcroît, des aménagements peuvent être mis en œuvre pour limiter la pénibilité du travail et permettre la poursuite d’activité chez les seniors. Je pense notamment au développement du travail à distance, qui réduit les déplacements quotidiens ou l’exposition au bruit, sources de fatigue. Le développement de « bridge jobs » – des emplois post-carrière qui prennent le plus souvent la forme d’emplois à temps partiel – est également une piste à creuser, permettant une transition douce entre une vie active à temps plein et une retraite complète. De nombreux autres sujets restent à penser par les entreprises, en particulier le sujet des collaborateurs « aidants », souvent des seniors ayant la charge d’un proche vieillissant, dont l’activité a nécessairement un impact sur leur équilibre vie professionnelle / vie personnelle. Alors que se prépare la future réforme des retraites, il est crucial de répondre aux besoins spécifiques des seniors pour les aider à garder leur emploi le plus longtemps possible.
Hippolyte d’Albis
Hippolyte d’Albis est professeur à l’Ecole d’Economie de Paris, coprésident du Cercle des économistes, chroniqueur aux Echos, directeur de l’équipe française du réseau des Comptes de transferts nationaux, codirecteur de la French Regional Database, éditeur associé du Journal of Demographic et du Journal of the Economics of Ageing et membre du comité éditorial de Public Finance Review. Il est l’auteur d’un ouvrage sur « Les seniors et l’emploi » (Les presses de Science-Po, mai 2022).
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